La fabrique des masculinités au travail

de Haude Rivoal

Chez La Dispute

Un super livre mais dans lequel je n’ai pas réussi à rentrer (oui ce n’est pas contradictoire). Ce livre montre les aspects structurants du monde du travail, qui protègent et reproduisent les positions dominantes des hommes ainsi que la hiérarchisation des masculinités dans le domaine professionnel. Il y a des idées fortes, éclairantes, mais je sens que je suis passé à coter de pas mal de chose à la lecture, j’étais souvent perdu sans comprendre où aller l’autrice (heureusement l’autrice a fait plusieurs interviews sur le livre me permettant de remettre tout ça en place après la lecture). La lecture de la conclusion m’a confirmé ce sentiment, je pense avoir compris une bonne part de ce qu’explique l’autrice, mais je ne comprends pas toujours comment le livre m’y a amené. Du coup je suis un peu mitigé, il faudra que je le relise un jour, mais il m’a apporté clairement beaucoup de chose sur un sujet que j’avait déjà un peu creusé.

« Il paraît que les hommes changent et que la virilité est en crise. »

« Et si les supposés transformations de la masculinité étaient la condition même du maintien du patriarcat. »

Bien qu’il dise lutter contre les inégalités, le monde du travail est un lieu d’observation privilégié du patriarcat.

Se pencher sur les inégalités au travail via le prisme des masculinités renverse le point de vue habituel, on ne regarde plus les problèmes auquel fonts face les femmes, mais les normes construites par les hommes qui facilitent leur maintien au pouvoir.

Pour se penser, la masculinité à besoin d’un support sur lequel s’exercer et par rapport auquel se construire, c’est via la hiérarchie homme femme que se créer la masculinité.

Raewyn Connell a théorisé la « masculinité hégémonique », qui est dominante non en nombre mais par les normes qu’elle diffuse aux autres masculinités. C’est donc un concept changeant et dépendant du contexte social.

La force de la masculinité hégémonique « est sa capacité à s’adapter en intégrants les résistances et les critiques qui lui sont adressés (discrimination de sexe et hyper-virilité), assurant la domination du groupe des hommes. »

La masculinité hégémonique n’est pas la plus virile mais celle qui est la mieux adapté à son milieu.


D’après Rosabeth Moss Kanter ou Joan Acker, les fonctionnement et structures de l’entreprise reposent sur la hiérarchie des sexes, c’est une perspective structuraliste.

Les inégalités de genres viennent des structures des organisations en non des individus, le modèle dula travailleureuse idéal emprunte ses traits au masculin (pouvoir, contrôle,…) et ainsi participe à la marginalisation des femmes

L’autrice se place elle dans une optique « interactionaliste » qui donne plus de place aux individus dans les structures )sans pour autant nier celles-ci), notamment car la réponse des hommes contre des avancées féministes est quelque chose de visible.


L’autrice mobilise le concept de virilité (distinct de la masculinité) qu’elle définit comme « un idéal de performance, d’autorité, de dépassement de soi et d’endurance », qui exprime une aptitude à la violence (par le corps ou les discours). C’est un attribut, un idéal culturel produisant de la solidarité entre hommes qui partagent cet idéal mais qui peut aussi être mobilisé par des femmes.

La masculinité est elle ce qui n’est pas féminin, une façon d’être hommes en opposition aux femmes perçus comme inférieur.

Il n’existe pas une domination masculine, mais des dominations masculines et la virilité est un attribut de ces dominations.

Différence virilité/masculinité :

  • se définit par elle-même/ par un rapport à la féminité
  • une représentation culturelle/ existe uniquement par rapport au féminin
  • concept figé/ évoluant dans le temps et l’espace

L’autrice mène sont enquêtes dans une grande entreprise française de logistique frigorifique (secteur peu féminisé).

L’entreprise étudiée est un groupe familial où se côtoie une gestion paternaliste (cooptation, loyauté informelle,…) et une gestion basée sur la concurrence des salarié·es, la précarisation et le recrutement extérieur.

Les tensions entre ces 2 modèle de gestions permettent la continuité de l’hégémonie masculine pour 3 principales raisons :

1 Lien entre virilité et capitalisme

La virilité renvoi à la puissance, l’autorité, la performance ou encore l’endurance, des valeurs qui correspondent à celles du travail capitaliste.

Le mythe méritocratique amène les élites politiques et économiques à se voir neutre, à leur place, car ils ont travaillé dure et non grâce au fait d’être des hommes blancs cishet…

Les entreprises pour survivre, doivent s’adapter et être les meilleures dans leurs domaines, des objectifs qui se transmettent avec les codes du pouvoir et de la virilité.

Cette transmission se fait au travers : d’une histoire androcentré (les fondateurs visionnaires des entreprises), des référencés virils partagées (sport ou autre, valorisant la conquête, le dépassement de soi,..) et des rites de passage (formation,…).

2 Le consentement des hommes aux principes virils

Les masculinités hégémoniques théorisées par Connell, s’imposent par leur légitimité et non par la force, mais d’où vient cette légitimité ?

La culture de l’entreprise est genrée masculin, que ce soit par ses valeurs, ses normes (vestimentaire,…), les relations professionnelles formelle ou non (sujet sportif autour de la machine à café, humour sexualisé,..)

L’adhésion à la culture d’entreprise s’acquière notamment par la construction d’espoir d’ascension social et par la création d’un sentiment d’appartenance à une communauté, celle de l’entreprise.

Les salarié·es respectent la culture de leur entreprise, il y a une forte valorisation du temps donné à l’entreprise et à la disponibilité, valorisant les hommes aux dépens des femmes qui cumulent leur emploi avec le travail domestique,…

« Pour le dire autrement : l’aisance des hommes au travail provient d’une exploitation du travail gratuit des femmes à la maison ».

3 Mécanismes informels de promotion entre eux

La masculinité est une pratique collective, il y a des mécanismes informels comme la cooptation, l’effet de réseau (en espace masculin) ou des jeux d’influences, qui promeuvent les hommes entre eux.

Si la majorité des hommes rejettent en théorie le sexisme, une bonne part pense devoir s’affirmer « en tant qu’homme » pour obtenir des responsabilités.

Un des freins à l’entrée des femmes dans l’entrepôt logistique (ou dans les métiers difficiles/dangereux) est qu’elles menacent la masculinité des travailleurs, mettant en cause leur identité liée à leur « travail d’homme ».

Dans les réunions, les hommes parlent entre eux, se protègent entre eux (en cas d’accusation de sexisme, harcèlement,..) ; ce sexisme n’est pas tant une hostilité envers les femmes qu’une défense de leurs intérêts communs.

On trouve aussi dans ces métiers, une dévalorisation du non viril ; être viril même pour une femme, est un moyen d’être accepté dans le groupe car performant·e.

Enfin, il n’y a que très peu de sororité ; cela faisant sortir de la virilité.


Face aux avancés technologiques réduisant la pénibilité dans les métiers de la logistique (filmeuse automatique, transpalette électrique,…), il devrait dans une vision stéréotypée, y avoir un meilleur accès des femmes à ces métiers ; mais ce n’est pas le cas.

Ce n’est pas (plus) l’argument de la pénibilité qui fait de ces métiers des bastions masculins.

L’argument avancé à la place de la force physique est maintenant la compétence technique, comprise comme un ensemble de savoir faire genrés comme masculins (précisions, vitesse,…)

Mais cette appropriation masculine de certain savoirs sert aussi à résister aux changements du métier (face à l’informatique qui apporte aussi la standardisation, le flicage,…), y plaçant alors de nouvelles valeurs, de nouveaux savoir afin de garder l’aspect prestigieux du métier.

Dans les métiers masculins qualifié, c’est un processus collectif qui exclut les femmes

Dans les métiers peu qualifiés ce qui crée le bastion masculin n’est pas la volonté de garder une forme de prestige associé aux métiers, mais à l’organisation du travail : l’accélération des cadences et le fort turn-over favorise le recrutement d’hommes jeunes et en bonne santé.

Dans les métiers précarisés c’est l’organisation du travail qui exclut les femmes.


Contrairement aux stéréotypes, l’autrice n’a vu que peu d’expressions directes du sexisme ou de l’homophobie chez les travailleurs dans son enquête.

Un sexisme et une homophobie visible étant renvoyé à la figure du « beauf ».

Si une masculinité trop stéréotypée est remise en question, ce n’est pas par rejet mais par scepticisme, ne s’accompagnent pas forcément de pratique égalitaire.

« A trop se focaliser sur les figures de l’excès, on en oublie parfois une domination masculine plus ordinaire et insidieuse. »

« Un discours antisexiste n’implique pas nécessairement une pratique égalitaire. »

La domination masculine s’incarne de diverses façons, parfois franche, « traditionnelle », parfois plus inclusive,…

La masculinité d’affaire, valorisé chez les cadres, s’incarne aujourd’hui dans la figure de l’entrepreneur, alliant audace et capacité d’adaptation face au changement du marché.

Une forme de masculinité inclusive se retrouve chez les jeunes cadres de classe moyenne ayant un certain niveau d’etude. Ils insistent moins sur la différenciation genrée des métiers, condamnent le sexisme et l’homophobe des autres hommes ; cela permettant de se distinguer d’eux dans une stratégie de hiérarchie des hommes entre eux.

Les masculinités sont produites entre autres par le marché du travail, par ces besoins et caractéristiques, « la masculinité dans son ensemble est modelée pour s’adapter à l’économie. »

Les hommes sont en constante compétition entre eux, toujours à prouver leur masculinité, ce qui est plutôt positif du point de vue capitaliste, car ils se challegent à être plus productif.

La masculinité se construit et s’exprime différemment selon les métiers au sein du même entrepôt, la maîtrise technique pour certaines, l’endurance physique pour les préparateurs de commande, le rôle pivot de leur travail pour les agents de quais,…

Chez les classes populaires, les masculinités trop viriles sont stigmatisantes (renvoyant au « beauf »), ainsi pour gagner en reconnaissance professionnelle les hommes de classes populaires vont incarner une masculinité « respectable » en s’éloignant de cette figure stigmatisée.

Pour cela il faut limiter les démonstrations de virilité, celle-ci ayant perdu de sa valeur professionnelle face aux usages des technologies et à un management portant plus attention à ‘l’initiative, aux « sens du dialogue »,…

« Ça sert à rien d’être costaud, faut être malin. » (Pierre Préparateur)

Ce n’est pas l’idéal viril de performance qui change, mais les façons de l’exprimer.

La masculinité respectable est aussi plus inclusive avec les femmes et le féminin, mais cela cohabite avec une dose de misogynie et d’hétérosexisme qui s’exprime individuellement et dont les expressions sont régulées collectivement par les réactions des autres hommes remettant en cause la moralité et le professionnalisme de l’individu fautif.


Les masculinités marginalisées des hommes racisés

Les hommes racisés sont renvoyés à une image de masculinité viril, violente, autour d’image médiatique du rap, du sport et des « banlieues ».

« Les stéréotypes sont bien là pour marquer les frontières. »

Les masculinités des hommes racisés se construisent dans un environnement de violence systémique et quotidienne.

Si l’emploi de préparateur en entrepôt surgelé est réalisé par les plus précaires (majoritairement racisés), le recrutement de cette main d’œuvre opère aussi une sélection physique.

Le corps noir est à la fois valorisé esthétiquement et réduit à son image (corps musclé réduit à ça force,…), créant une distinction entre « eux » (racisé·es) dont les aptitudes professionnelles sont liées aux corps et « nous » (blanc·hes) ayant les compétences d’encadrement, de direction,…

Les masculinités noires sont associées à la force brute et renvoyées à une altérité dangereuse, rejoignant l’image raciale coloniale.

« Il ne suffit pas d’être un homme pour être dominant, encore faut-il l’être « correctement ». »

Le travail n’est pas qu’un lieu d’apprentissage de la virilité, c’est aussi un lieu de contrôle de celle-ci.


Le sport est un élément important dans la masculinité, de plus il porte un certain nombre de valeurs commune avec l’entreprise notamment autour du corps qui doit être discipliné, entretenue afin de pouvoir fournir suffisamment d’efforts.

Mais le travail du corps n’est pas que physique, c’est aussi une performance de « style » (se tenir bien, le costume cravate,…), un moyen de distinction genré et de classe.

En environnement professionnel, la mise à distance des femmes (et de l’homosexualité) se voie parfois par du mépris, plus souvent par « l’humour », mais elle se voie aussi dans le manque de prise en compte de (éventuelle) femmes dans l’entreprise dus à l’habitude de l’homosocialisaté masculine (par exemple avec l’absence de vestiaire féminin).

Ces espaces sont donc par défaut pour les hommes.

Le sexisme est utile au monde du travail, le classement et l’organisation de la main d’œuvre en fonction de stéréotypes de genre permet un placement plus efficace de la main d’œuvre.

La diversité au sein des entreprises n’a pour elles qu’un intérêt de communication.

Face aux inégalités, le monde de l’entreprise se repose sur un discours individualisant d’une adaptabilité des femmes pour pouvoir accéder aux divers postes, plutôt que de remettre en cause l’organisation de l’entreprise.


« La transformation de la masculinité hégémonique n’exclus pas la mobilisation autour d’un idéal viril au-delà des clivages de classes, de race et des différents métiers exercés. »

C’est cet idéal, ces valeurs, qui créer l’appartenance au boys club et la possibilité d’en bénéficier.

Malgré ces transformations, la masculinité repose toujours sur la division sexuelle du travail, la valeur donnée à la force et une mise à distance de la féminité et des masculinités subordonnées/marginalisées.

La précarisation du monde du travail pousse à toujours prouver sa valeur sur le « marché du travail » (et cela en partie par sa conformité à la masculinité hégémonique) et cela garde les dominants dans leur position de dominants.

La précarisation maintient la domination masculine car elle maintient le besoin des dominants de ne pas laisser la moindre place aux autres.


Autres ressources :

  • Les interviews de l’autrice chez Hors serie, penser l’apres, Les fameuses et Ingénieur·es engagé·es
  • L’article de l’autrice : Virilité ou masculinité ? L’usage des concepts et leur portée théorique dans les analyses scientifiques des mondes masculins. Dans Travailler n°38 (2017)
  • Masculinités de Raewyn Connell chez Amsterdam
  • Les articles :La masculinité hégémonique : lecture critique d’un concept de Reawyn Connell Par Demetrakis Z. Demetriou & Faut-il repenser le concept de masculinité hégémonique ? de Raewyn W. Connell et James W. Messerschmidt
  • Homo.inc de Sam Bourcier chez Cambourakis
  • La crise de la masculinité de Francis Dupuis-Deri chez Point
  • On ne nait pas mec de Daisy Letourneur chez Zones
  • Le sexisme, une affaire d’homme de Valerie Rey-Robert chez Libertalia
  • Alpha-mâle de Melanie Gourarier chez Seuil
  • La pensée straight de Monique Wittig chez Amsterdam
  • Libéré de la masculinité de Aline Laurent-Mayard chez JCLattes
  • Le boys club de Martine Delvaux chez Payot
  • Le capitalisme patriarcal de Silvia Federici chez La Fabrique
  • Patriarcatpitalisme de Pauline Grosjean au Seuil
  • On n’est pas des robots dirigé par Cécile Cuny chez Creaphis
  • Les videos de Léo
  • Podcast Une heure et des pixels 3,05 Avec Ugo Trelis

Laisser un commentaire