Homo inc.orporated

Le triangle et la licorne qui pète

De Sam Bourcier

Chez Cambourakis

2017

Un livre dure à lire avec beaucoup de référence à des choses peu ou pas expliqué. Il est très critique, c’est une critique du mouvement féministe et de l’université (comme lieu de création/diffusion de savoir) d’un point de vue queer radical et excluant toute institutionnalisation.

Un livre très compliqué, je ne suis pas sûre d’avoir bien compris un certains nombres de choses, mais j’ai essayé dans cette fiche de vulgariser ce que je pense avoir compris mais même comme ça c’est pas évident.

L’auteur prend le parti de ne pas utiliser une écriture neutre pour parler des personnes binaires afin de ne pas « invisibiliser les marques de l’hégémonie de la différence sexuelle », ni réassigner celles et ceux qui la pratique et la revendique.

Je réutilise l’écriture utilisée par Bourcier, de « trans* » et son « * » qui vient « sabrer le sexuel » et le genre.

Depuis quelque temps il y a de plus en plus d’enquête sur les discriminations subies par les gays et lesbiennes au travail mais pas sur celles subies par les personnes trans*.

Mais ces études visent surtout «  l’optimisation du capital humain et sexuel » des homosexuel·les, autrement dit, elles visent à réduire les coûts de la discrimination quand celle-ci ne permet plus d’être compétitive pour les entreprises (par rapport aux entreprises gay-friendly).

« Le néolibéralisme a mis le grappin sur le social que le libéralisme laissait auparavant à l’État. »

Prenant en main les droits sociaux et culturels pour maximiser le profit économique, les entreprises luttant contre les discriminations visent la maximisation de l’employabilité et de la productivité des homosexuel·les, des personnes handicapé·es,…

Les politiques néolibérales visent notamment la reprivatisation du sexuel et du social, autrement dit une dépolitisation du privé. Alors que les politiques libérales cherchent à contenir les différences, le néolibéralisme se sert de certaines au bénéfice du marché ou de l’État.

La promesse de l’émancipation par le travail n’a pas besoin d’être tenue pour mettre les gens au travail, l’espoir qu’elle apporte d’être integré·es (donc moins stigmatisé·es et moins discriminé·es) suffit. La promesse d’une situation stable avec un emploi stable est de plus en plus lointaine, il faut donc sortir de la notion de réussite comme avenir meilleur ; et ne pas tomber dans le discours de la vulnérabilité en attendant de l’État ce qu’il ne donne plus depuis longtemps déjà, ni tomber dans la sur-responsabilisation de soi et la culpabilisation.

Le pinkwashing et l’homonationalisme procurent des gains mais créer en même temps une exclusion des autres LGBTQIA+ et/ou racisées. Le management de la diversité promet une valorisation des identités queers au profit des entreprises, de l’État et des facs. Le « management de la diversité » des facs et entreprises vise les « bons homos », vus comme respectables, qui demandent la liberté et la sécurité aux entreprises et institutions.

Il y a dans une part du mouvement LGBTQIA+, un mouvement « LGBT institutionnel » (les « bons homos ») qui cherche l’assimilation à la nation, à être des citoyen·nes avant d’être LGBT, à entrer dans l’universalisme republicain. Et qui donc s’opposent aux queers. Cela se perçoit notamment par des revendications basées sur l’ouverture de droits comme le mariage.

Les politiques des droits LGBTQIA+ sont de plus en plus intégrées et institutionnalisées, permettant aux entreprises et institution d’utiliser un discours moral sur les droits LGBTQIA+ afin d’évaluer les autres cultures. Ce type de discours moraux permet de renvoyer le sexisme et l’homophobie à l’ailleurs, aux personnes racisées, aux migrant·es, faisant des luttes LG des arguments mobilisable à des fins racistes. Au LGBT présenté·es comme « déviant·es » et « malades » du XIXe, on est arrivé aux LGBTQIA+ victime de LGBTphobes « déviant·es » et « malades ».

La république française est fondée sur l’exclusion (de celleux qui n’entre pas dans son universalisme), les demandes d’inclusion des LG institutionel·les sont des demandes de reconnaissance par les institutions qui produisent les inégalités et discriminations.

Les droits anti-discriminations ne font pas disparaître les discriminations, pour pouvoir avoir recours à ces droits il faut déjà pouvoir aller en justice (être en situation « régulière », avoir de quoi payer les frais, être reconnue légitime par la justice,…) et de plus, les lois apportent une vision individualisante et psychologisantes des oppressions (elles donnent à voir les interactions interpersonnelles auquel on cherche des raisons personnelles).

Les luttes par les droits pour l’égalité font disparaître le côté systémique .


« C’est que le mariage « pour tous » ne propose pas une déconstruction du genre. »

Le mariage est un contrat passer avec l’État à des fins de transmission de propriété et de patrimoine. C’est un contrat avec l’État antisocial et xénophobe, qui ne s’applique que aux citoyen·nes du pays (excluant les LGB étrangé·es).

« Le mariage n’est pas un droit, c’est une idiotie et une mesure dangereuse en faveur de l’égalité formelle pour les plus favorisé·e·s. »


Le féminisme de l’égalité et des droits, focalisé sur l’égalité professionnelle et les violences contre les femmes a complètement éclipsé les féminismes socialistes révolutionnaires, les subcultures féministes,… tout un pan contestataire du féminisme est invisibilisé par un féminisme des droits qui se base sur la différence de genre et la pensée hétéronormé.

Ce « postféminisme » promeut un empowerement conservateur et individualisant basé sur le succès personnel et professionnel. Ces formes d’empowerment individualisant féministe et LG, sont disempowerant pour les femmes et les LGBTQIA+ car ils viennent remplacer les luttes collectives par des luttes individuelles.

N.Fraser parle elle de dépossession du féminisme par les politiques néolibérales du droit et de l’égalité, car ce féminisme et coupé de la base du mouvement au profit des institutions et de l’État. Pour elle le féminisme de la dite 2em vague, a trop misé sur l’émancipation par le travail oubliant les demandes de redistribution et de justice sociale ; s’alignant alors avec le néolibéralisme et l’acceptation progressive du travail des femmes (précaire et sous payé) qui en a découlé.


Les LG assimilationnistes , les « bons homos », ont finis par alimenter le triptyque nationaliste : une Famille reconnue institutionnellement et formée selon les codes de l’État, un Travail tel qu’attendu par le néolibéralisme sans contestation des conditions et une adhésion à la Patrie face aux LGBphobes venue de cultures extérieures.

Si les « bons homos » actuellement sont une population, une force productive prise en compte par le néolibéralisme ; les queers, les freaks et les transféministes ne sont pas une population mais des formes collectives de résistance, des formes de (re)production sociales différentes, hors normes. Les LG institutionnel·les sont incorporé·es à la population et n’existent plus en tant que sujet politique à part entière, contrairement aux queer et transféministes. Les politiques de l’identité gay et lesbienne, ne sont autorisées que quand elles s’alignent avec la politique de l’identité française républicaine universaliste (sexiste, raciste et straight).

La politique des identités est souvent présentée comme un produit du capitalisme, et c’est vrai, c’est un grand fonds de commerce des entreprises. Mais cette politique des identités hégémonique (« d’en haut ») compatible avec l’identité nationale et les entreprises, ce n’est pas la politique des identités « d’en bas », non intégrées et qui ne répond pas aux demandes du capitalisme.

« Ni reconnaissance ni inclusion mais transformation et redistribution : tel est le mot d’ordre à minima des politiques queer et transféministes. »

Les politiques (du corps) queer viennent briser les dualités nous/autres, subjectif/objectif, femme/homme… En faisant exploser ces dualismes et en se désidentifiant (d’avec les femmes pour les lesbiennes avec Wittig, d’avec les féminités attendu, d’avec les masculinités hégémoniques), les politiques queers démontent les mécanismes naturalisant et dépolitisant et remettent en cause le binarisme sexe/genre.


S.Federici a montré comment le capitalisme naissant a eu besoin d’exproprier les terres et les corps, les corps devant alors être auto-gouvernés, une propriété de soi servant la production et la reproduction.

Le genre comme travail (tel que pensé par le collectif Smaschieramenti) : si le travail est une activité chronophage, obligatoire et qui produit de la plus-value, la production des genres normatifs est un travail, qui est naturalisé, mais qui produit de la plus-value appropriée par le capital.

Un lieu embauchant des personnes d’apparence queer pour faire lieu « cool », récupère de la valeur ajoutée du travail de genre de ses employé·es qui elleux se retrouvent à gérer la queerphobie qu’iels rencontrent dans leur lieu de travail. Le genre joue un rôle dans l’exploitation, y compris les identités sexuelles et de genres des « bons homos ».

La production du genre est une forme de travail.

Les féministes marxistes ont montré que le travail de production n’est rendu possible que grâce au travail de reproduction de la force de travail (le travail domestique au profit des travailleurs qui leur permet de récupérer de leur travail salarier et ainsi de continuer à fournir ce travail salarié à l’entreprise) , travail de reproduction qui est invisibilisé, non rémunéré et fait par les femmes.

Les « bons homos » ont intégré cette sphère du travail reproductif.

Cette notion de travail reproductif montre que « les attitudes de la féminité » sont des fonctions professionnelles, sont un travail. La « nature féminine » est un rôle de genre, inventé par le capital et permettant la naturalisation du travail reproductif.

Les genres sont du travail, les identités (y compris de genre) aussi, nos identités sont produites et mises au travail par et pour le capitalisme. Elles sont des ensembles d’activités, d’affect, que l’on effectue gratuitement et qui, étant alignées avec les besoins de l’économie, produisent de la plus-value captée par les entreprises.

En contexte néolibéral, la performance de genre se retrouve être aliénante, hétéronormative ou homo-normative et peut être dans quelque temps trans-normative.

Alors que la performance de genre peut aussi être un genre (comme travail) non normatif, une performance qui stoppe la productivité du genre, comme avec une grève du genre. Le genre comme travail permet de comprendre l’exploitation des genres comme source de plus-value.

Il faut refuser le travail reproductif (au sens de travail domestique, de care, affectif,..) au service du capital et inventer un travail contre-reproductif queer : un travail émancipateur, ne reproduisant pas les genres normés, collectiviser le travail reproductif,…

Le genre et sa construction (via la performance de celui-ci), sont du travail. Face à cela, on peut faire une grève sociale, une grève du genre et essayer de créer un travail de reproduction non productif en s’appuyant sur nos communautés, les sub-cultures,…

« On arrête la production des hommes et des femmes cis hétéros pour laisser de la place à la production des masculinités et des féminités contre-hégémoniques, et du temps à la dés-éducation de la différence. »

La réponse queer à la stigmatisation et à l’opposition en raison de son identité, son expression de genre ou sa sexualité, c’est la performance d’un genre déviant revendiqué. C’est une forme active de résistance, contrairement à la reconnaissance, la protection et le droit qui sont des demandes d’intégrations à l’État, des demandes de protection par la police au nom d’une « vulnérabilité » queer intrinsèque.

« Les queers et les transféministes ne croient ni au droit ni à l’État, parce que c’est bien de croyance qu’il s’agit. »

Le recours au droit ne doit être que stratégique et non un but.


Violences épistémiques : contrôle des sujets de savoir marginaliser ainsi que de leur production via diverses opérations d’exclusion, effacement, délimitation, appropriation et incorporation. Cela permet de faire de la plus plus-value sur le dos des sujets de savoir.

Les -studies ont notamment apporté la prise en compte des point de vue situés, elles apportent donc à la fois de nouveaux agent·es du savoir et la prise en compte des positions des agent·es de savoir. A contrario, la sociologie canonique nie la position des agent·es du savoir, en faisant alors une science hétérocentré, blanche,…

Les études de genre française ont été absorbées par les disciplines hétéronormées, laissant de côté les apports féministes queers.

La sociologisation de l’homosexualité a eu des effets négatifs sur les minorités qu’elle prétend soutenir :

  • tout ce qui n’est pas « homosexuel » est invisibilisé, ainsi les queers, trans*, trans* racisé·es, les sous-cultures, leurs points de vue et leurs critiques se retrouvent invisibilisés au sein de la sociologie du genre
  • cela a apporté une assimilation des minorités de genre, sexuelles et racisées au capitalisme néolibéral

Ces études universitaires sont aux antipodes des affirmations culturelles, politiques et communautaires des études queers, transféministes, post-coloniales et décoloniales.


En France les sciences humaines et sociales refusent toujours la place de producteurices de savoir aux minoritaires.

En France, contrairement aux pays anglo-saxons (entre autres), les savoir minoritaires sont proscrits, les minoritaires sont victimisé·es, infantalisé·es et l’affirmation culturelle leur est refusée. Cela est en lien avec l’universalisme républicain français, « neutre », ignorant et aligné sur l’identité nationale, blanche, cishet, laïciste, qui en France est plus forte que la contrainte entreprenariale et que le management de la diversité qui va avec.

Les USA absorbent les particularismes et les minoritaires (ce qui permet une relative mise en question de la société étasunienne), alors que la société française ne les accepte pas d’autant plus si iels sont porteureuses de critiques.


Le travail universitaire aujourd’hui dépossède les minoritaires de leurs savoirs sur elleux-mêmes, les exproprie de ces savoirs au profit des expert·es légitimes et salarié·es des facs, renvoyant les minoritaires à un statut de matériaux brut sur lesquelles produire de la recherche.

« La valeur est extraite des populations LGBTQI+OC pour entrer dans des processus d’accumulation, valoriser et respectabiliser les experts universitaires LGBT. »

« Il faut être claire sur les intérêts qui motivent à étudier certaines expériences quand elles ne sont pas les votres. […] Si on ne s’interroge pas sur sa positionnalité, même le savoir le plus critique et le plus subversif redevient un outil au service des classes dominantes » (Déclaration de l’Aquila, En gréve du travail universitaire et de l’université)

Les universités ont un usage néocolonial des savoirs des minorités, elles utilisent ces savoirs à des fins néolibérales.

L’université française est trop souvent coupée de la société et des mouvements sociaux qui sont pourtant des lieux important de production de savoir.


Autres ressources :

  • Les interviews de l’auteur chez La poudre etchez Furies podcast
  • Le podcast La Fievre
  • La pensée straight de Monique Wittig chez Amsterdam
  • Vers la normativité queer de Pierre Niedergang chez Blast
  • Du salaire pour nos transitions de Joséphine Giles Harry chez Burn Aout
  • Vandalisme queer de Sara Ahmed chez Burn Aout
  • Logique du genre de Jeanne Neton et Maya Gonzalez chez Sans Soleil
  • Au nom des femmes de Sara.R.Farris chez Syllepse
  • La décolonisation n’est pas une métaphore d’Eve Tuck et K. Wayne Yang chez Ròt-Bò-Krik
  • Les femmes musulmanes ne sont-elles pas des femmes ? De Hanane Karimi chez Hors d’atteinte
  • Pour une écologie pirate de Fatima Ouassak chez La decouverte
  • Les luttes des putes de Thierry Schaffauser chez La Fabrique
  • Désirer à tout prix de Tal Madesta chez Bindge
  • Repenser le genre de Raewyn Connel chez Payot
  • L’emission de France culture LSD Pédés Réinventé le monde
  • Les vidéos de Game of Hearht sur le féminisme queer et sur le transfeminisme

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